
Kinshasa, jadis surnommée « Kinshasa la Belle », semble aujourd’hui n’être plus que l’ombre d’elle-même. Capitale tentaculaire de la République démocratique du Congo, cette mégalopole d’environ 15 millions d’habitants offre désormais un visage défiguré par une double tragédie : celle de l’incivisme populaire et celle d’un État à la dérive, incapable de reprendre le contrôle d’une ville qui s’effondre sous ses propres contradictions.
Une ville en ruine.
Inondations récurrentes, routes dégradées, coupures d’eau et d’électricité fréquentes, insuffisance d’infrastructures routières face à une croissance démographique galopante : autant de réalités qui plongent Kinshasa dans une spirale de délabrement.
La vétusté des infrastructures, certaines datant de l’époque coloniale, combinée à l’absence d’un entretien régulier, transforme chaque saison pluvieuse en cauchemar urbain.Quand le peuple creuse sa propre tombe.Mais il serait simpliste de ne pointer que l’État du doigt.
La population elle-même porte une part écrasante de responsabilité. L’incivisme généralisé se manifeste à tous les niveaux : absence des puits de captage d’eau dans les parcelles, déversement sauvage d’immondices dans les rues, obstruction des canalisations par les déchets ménagers, chaque pluie devient ainsi un facteur de destruction, les eaux cherchant leur chemin sur des chaussées déjà fragilisées, accélérant leur effondrement.
Les constructions anarchiques dans des zones non viables ou exposées, souvent sur des collines instables ou en bord de ravin témoignent d’un laisser-aller généralisé. Ces édifices illégaux, sans respect des normes urbanistiques, mettent en péril la vie de leurs occupants et contribuent aux glissements de terrain meurtriers. Ainsi, à chaque averse, Kinshasa enterre sa population sous les décombres.
L’État impuissant, voire absent.
Face à ce tableau sombre, l’État semble spectateur. Aucune politique urbaine claire, aucun plan de développement adapté à la réalité d’une grande ville africaine en plein 21e siècle n’a encore vu le jour. Les mesures sont souvent ponctuelles, improvisées, et sans vision finale. De « Kinshasa Bopeto », en passant par « Kinshasa Zéro Trou » à « Kinshasa Ezo Bonga », la population kinoise place espoir à des vains slogans sans en palper les résultats escomptés.
L’urbanisme est laissé à l’abandon, les contrôles sont inexistants ou corrompus, et les rares campagnes de salubrité n’ont qu’un effet cosmétique, aussitôt effacé par la réalité du terrain.
Plus grave encore, cette inaction chronique est en train d’institutionnaliser le désordre, de rendre « normal » ce qui devrait alarmer : routes transformées en marécages, marchés débordant sur les voies publiques, enfants pataugeant dans des eaux usées. Le contraste est criant entre l’importance stratégique de Kinshasa, capitale politique et vitrine du pays, et le mépris manifeste avec lequel elle est gérée.
Un miroir brisé du Congo
Kinshasa, dans son chaos, n’est pas seulement une métropole en crise. Elle est le reflet amplifié d’un État en mal de gouvernance, d’une société en perte de repères, d’une population abandonnée à elle-même. À la croisée de l’indiscipline citoyenne et de l’incompétence étatique, la ville devient une métaphore douloureuse de ce que le Congo ne devrait jamais être.
L’heure est donc grave. Réveiller Kinshasa de son coma urbain exigera un sursaut collectif : une réforme en profondeur de l’aménagement du territoire, une lutte réelle contre l’incivisme, et surtout, une volonté politique sincère de redonner à la capitale congolaise sa dignité perdue. Faute de quoi, Kinshasa ne sera bientôt plus qu’un souvenir noyé sous les eaux de ses propres échecs.
Prefina MPEMBA